23 novembre 2011

Un modèle, l’Allemagne ? Pour le capital, oui. Pour le reste, vous pouvez vous le garder.
 
C’est une manie que la bourgeoisie française traîne sous ses bottes depuis deux siècles : aller chercher à l’étranger le « modèle » pour accabler notre nation et son peuple. C’était hier le « rêve américain » avec, en passant, escale à Londres chez Mme Thatcher ou M. Blair : mais patatras, l’histoire et la crise ont balayé ces horizons anglo-saxons ! Eh bien ? Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui fait office de nouvel « eldorado » exemplaire pour faire la leçon à l’Hexagone : dans la foulée du président de la République, tout un petit monde d’experts, de « professeurs », de spécialistes, d’éditorialistes, de moralistes, lorgnent vers l’est et prennent le train en marche pour Berlin, capitale 
du nouveau « modèle ».

Serait-ce que ces bons esprits envient à Mme Merkel le parc des centrales thermiques au charbon qui produisent 44 % de l’électricité allemande et crachent à plein régime, nuit et jour, des tonnes de CO2 aspirées vers les espaces infinis ? On n’arrive pas à le croire. Comment dit-on « Ubu roi » en allemand ? Là-bas, c’est lui qui règne sur les problèmes d’énergie. Huit réacteurs nucléaires ayant été mis en sommeil, nos voisins nous achètent de l’électricité… qui est d’origine nucléaire ! Et généralement l’hiver, en période de pointe, c’est nous qui importons d’outre-Rhin… Alors, faudra-t-il pratiquer la coupure ?

Ou serait-ce que nos germanophiles parisiens envient le destin de quelques hommes politiques allemands ? M. Schröder, par exemple, qui, son fauteuil de chancelier encore tout chaud abandonné à Angela Merkel en 2006, devient aussitôt un haut dirigeant du géant gazier russe Gazprom, avec revenus dont le secret est éloquent… Ou Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères, grand apôtre des Grünen (les Verts), qui s’en met plein les poches dans un rôle de conseiller de BMW, Siemens, ou le colosse RWE… Évidemment, il nous étonnerait que le peuple de gauche, en France, s’évanouisse d’enthousiasme pour ces modèles-là…

Alors ? Alors le modèle allemand est paré de quelques plumes de paon par « nos » avocats : un faible déficit budgétaire, des excédents commerciaux spectaculaires, un taux de croissance soutenu… ce qui vaut à nos voisins d’être les chouchous des féroces marchés financiers, comme on dit. Mais derrière le rideau de scène, la réalité de la société allemande est beaucoup plus rude. Une expression marque là-bas, au fer rouge, la vérité humaine du « modèle » : c’est ce que l’on appelle « 1 eurojob », autrement dit un emploi payé 1 euro de l’heure ! Cinq millions de nos voisins disposent de ce privilège qui fait l’admiration des élites de Neuilly-sur-Seine : ils gagnent 400 euros par mois… Ce sont en général des jeunes gens, des jeunes filles, de jeunes couples, qui dansent avec les loups, les loups de la pauvreté ou les loups du chômage… Et en Allemagne, pas de salaire minimum, la retraite expédiée à l’horizon des soixante-sept ans, les indemnités de chômage soumises à la « règle d’or » de la réduction sans retour… Selon un rapport de la Fondation Bertelsmann quand « l’indice social » de la France se situe au 8e rang en Europe, celui de l’Allemagne végète 
au 15e rang…

L’ancien ministre Jean-Louis Borloo, que l’on ne peut soupçonner d’être un fanatique de Karl Marx, a observé que, en deux décennies, les revenus du capital ont augmenté d’environ 300 %, dix fois plus que ceux du travail… Dans le même ordre d’idées, en Allemagne, le salariat, comme on dit a perdu 85 milliards au profit du patronat et des financiers…
Claude Cabanes (l'Humanité)

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