30 août 2016

Besnier et le pot au lait

Pour vivre heureux, il préférerait rester caché, loin des projecteurs médiatiques. Cette discrétion, il l’applique même aux comptes de son entreprise : top secret !
Même les délégués syndicaux ne sont pas capables de chiffrer ses immenses bénéfices. Tout juste évalue-t-on sa fortune personnelle à 7,6 milliards d’euros, au 13e rang français. Tout cela circule dans l’opacité d’une holding belge. Le système est rodé. Lactalis paie aux producteurs le lait moins cher qu’il ne leur coûte. À eux de gérer leurs pertes ! Et pas de discussion surtout, le capitalisme branché a des allures de féodalité bien comprise et quelques fois prêchée par certains syndicalistes agricoles qui ont eux-mêmes de solides intérêts dans le système. Mais cette addition de la dîme, des corvées et de la taille provoque dans les campagnes une nouvelle jacquerie. Fini, l’accumulation paisible comme l’avait pratiquée les générations précédentes de ce marquis du lait. Aujourd’hui, Emmanuel Besnier est dans les phares des tracteurs qui bloquent une quinzaine de ses sites.
Soyons honnêtes. Lactalis n’est pas la seule entreprise à faire son beurre sur le dos des éleveurs. C’est même le fond du système qui pressure le travail de paysans souvent aveuglés par l’impression que leur travail est indépendant et qu’ils en sont les maîtres, tandis qu’un nœud coulant les étrangle, les poussant à surinvestir – et donc à s’endetter – pour produire plus ce qu’ils vendront moins cher. Souvent le souffle manque… Les suicides, plus ou moins déclarés comme tels, sont légion dans les campagnes. Et combien perdent tout dans ce jeu inégal !
Emmanuel Besnier veut rester inflexible. Il sait qu’il a des amis. Certains lui ont offert le CICE, d’autres ou les mêmes le pacte de responsabilité additionné de la loi El Khomri, et on lui fait même miroiter la fin de l’impôt sur la fortune. La toute petite minorité qui profite du système économique fait bloc pour le protéger. C’est une force. Mais elle reste une toute petite minorité…

directeur de la rédaction de l'Humanité

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