Pour
vivre heureux, il préférerait rester caché, loin des projecteurs
médiatiques. Cette discrétion, il l’applique même aux comptes de son
entreprise : top secret !
Même
les délégués syndicaux ne sont pas capables de chiffrer ses immenses
bénéfices. Tout juste évalue-t-on sa fortune personnelle à 7,6 milliards
d’euros, au 13e rang français. Tout cela circule dans l’opacité d’une
holding belge. Le système est rodé. Lactalis paie aux producteurs le
lait moins cher qu’il ne leur coûte. À eux de gérer leurs pertes ! Et
pas de discussion surtout, le capitalisme branché a des allures de
féodalité bien comprise et quelques fois prêchée par certains
syndicalistes agricoles qui ont eux-mêmes de solides intérêts dans le
système. Mais cette addition de la dîme, des corvées et de la taille
provoque dans les campagnes une nouvelle jacquerie. Fini, l’accumulation
paisible comme l’avait pratiquée les générations précédentes de ce
marquis du lait. Aujourd’hui, Emmanuel Besnier est dans les phares des
tracteurs qui bloquent une quinzaine de ses sites.
Soyons honnêtes. Lactalis n’est pas la seule entreprise à
faire son beurre sur le dos des éleveurs. C’est même le fond du système
qui pressure le travail de paysans souvent aveuglés par l’impression que
leur travail est indépendant et qu’ils en sont les maîtres, tandis
qu’un nœud coulant les étrangle, les poussant à surinvestir – et donc à
s’endetter – pour produire plus ce qu’ils vendront moins cher. Souvent
le souffle manque… Les suicides, plus ou moins déclarés comme tels, sont
légion dans les campagnes. Et combien perdent tout dans ce jeu inégal !
Emmanuel Besnier veut rester inflexible. Il sait qu’il a
des amis. Certains lui ont offert le CICE, d’autres ou les mêmes le
pacte de responsabilité additionné de la loi El Khomri, et on lui fait
même miroiter la fin de l’impôt sur la fortune. La toute petite minorité
qui profite du système économique fait bloc pour le protéger. C’est une
force. Mais elle reste une toute petite minorité…