Dans les
petits villages de l’Oise, les enfants pauvres manquent l’école pour
aller ramasser des cailloux dans les champs. Ils rapportent 15 000
francs par an au tâcheron qui les emploie.
Il est dans l’Oise des villages d’importance moyenne – cinq cents à
mille habitants – où l’on rencontre chaque matin de singuliers cortèges.
Des fi llettes, des garçonnets et des femmes aussi, la hotte sur le
dos, prennent la grande route pour atteindre à cinq ou à six kilomètres
de là, plus loin quelques fois, le lieu de leur travail. Nous ne sommes
pourtant pas au temps des vendanges dans l’Oise…
Ce sont des femmes et des enfants qui vont « à cailleux » comme
on dit en patois picard, c’est-à-dire ramasser des cailloux dans les
champs pour le compte des tâcherons. Et au printemps aux vacances, il
manque régulièrement quinze élèves sur vingt-cinq dans les classes
élémentaires de filles et de garçons…Quand il pleut, le chiffre des
manquants s’abaisse de quelques unités. Mais les autres n’interrompent
point leur besogne et vont « à cailleux » sous l’averse. Car leur
misérable salaire est attendu, escompté, tient sa place dans le
défaillant budget ouvrier.
Des bambins, des vieilles Ce matin, ils ont mangé
une soupe. Et les voilà partis. Au bourg à Saint-Just-en-Chaussée, par
exemple, ailleurs aussi-, ils s’arrêtent et boivent la goutte. Les plus
petits font comme les autres excités, piqués par les railleries des «
grands ».
Les voici dans les champs pierreux. Tout le jour, pliés en deux à la
façon des glaneurs, ils remplissent leur manne. (…) Que font les
tâcherons de tant de cailloux, ramassés par tant de mains débiles* ? Ils
les vendent à l’administration des Ponts et Chaussées pour l’empierrage
des routes (…). C’est tout l’illogisme et toute l’iniquité de notre
organisation sociale qu’évoque la petite troupe de gamins et de fillettes qui, la manne au dos, vont « à cailleux » chaque matin, à
travers la campagne picarde.
L. M. BONNEFF
l'Humanité 30 juin 1914
*employé dans le sens : qui manque de force et de vigueur
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