4 janvier 2014

Ceux qui "vont à Cailleux"

Dans les petits villages de l’Oise, les enfants pauvres manquent l’école pour aller ramasser des cailloux dans les champs. Ils rapportent 15 000 francs par an au tâcheron qui les emploie.

Il est dans l’Oise des villages d’importance moyenne – cinq cents à mille habitants – où l’on rencontre chaque matin de singuliers cortèges. Des fi llettes, des garçonnets et des femmes aussi, la hotte sur le dos, prennent la grande route pour atteindre à cinq ou à six kilomètres de là, plus loin quelques fois, le lieu de leur travail. Nous ne sommes pourtant pas au temps des vendanges dans l’Oise…

Ce sont des femmes et des enfants qui vont « à cailleux » comme on dit en patois picard, c’est-à-dire ramasser des cailloux dans les champs pour le compte des tâcherons. Et au printemps aux vacances, il manque régulièrement quinze élèves sur vingt-cinq dans les classes élémentaires de filles et de garçons…Quand il pleut, le chiffre des manquants s’abaisse de quelques unités. Mais les autres n’interrompent point leur besogne et vont « à cailleux » sous l’averse. Car leur misérable salaire est attendu, escompté, tient sa place dans le défaillant budget ouvrier.

Des bambins, des vieilles Ce matin, ils ont mangé une soupe. Et les voilà partis. Au bourg à Saint-Just-en-Chaussée, par exemple, ailleurs aussi-, ils s’arrêtent et boivent la goutte. Les plus petits font comme les autres excités, piqués par les railleries des « grands ».

Les voici dans les champs pierreux. Tout le jour, pliés en deux à la façon des glaneurs, ils remplissent leur manne. (…) Que font les tâcherons de tant de cailloux, ramassés par tant de mains débiles* ? Ils les vendent à l’administration des Ponts et Chaussées pour l’empierrage des routes (…). C’est tout l’illogisme et toute l’iniquité de notre organisation sociale qu’évoque la petite troupe de gamins et de fillettes qui, la manne au dos, vont « à cailleux » chaque matin, à travers la campagne picarde.
L. M. BONNEFF
l'Humanité 30 juin 1914 

*employé dans le sens : qui manque de force et de vigueur

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