24 octobre 2012

«Pour vivre heureux, vivons cachés. » 
 

Les riches n’oublient jamais de suivre à la lettre ce conseil épicurien. Le bonheur serait de l’ordre de la sphère privée. Tellement privée qu’il en devient secret en ce qui les concerne. Pas de pierres dans leur jardin, mais une culture prospère de pépites dissimulées sur des comptes en banque pour ne pas payer l’impôt. Il y a quelques semaines, l’évasion fiscale de Bernard Arnault a défrayé la chronique. 
Le patron de LVMH n’a même pas eu besoin de pousser jusqu’aux îles Caïman, le paradis est à sa porte. Le roi du luxe a choisi la Belgique, il aurait pu opter pour la Suisse ou le Luxembourg. En demandant la nationalité d’un pays fiscalement attrayant, le cas du milliardaire est passé dans la lumière. Combien restent tapis dans l’ombre ?

La violence de la crise provoquée en 2008 par la finance mondiale a suscité quelques velléités d’ouvrir la chasse aux paradis fiscaux et d’en finir avec le secret bancaire. Au nom de la « moralisation » du capitalisme, le G20 de 2009 a même dressé une liste des pays épinglés. Classé sans suite, en fait. Car il est des chiffres qu’Oncle Picsou ne tient pas trop voir sur la place publique. Ainsi, un rapport d’une ONG britannique datant de l’été dernier chiffre le montant de la fraude mondiale à 21 000 milliards de dollars, soit le PIB cumulé des deux pays les plus riches, les États-Unis et la Chine. En France, un rapport sénatorial rendu en juillet évalue l’évasion fiscale entre 30 et 50 milliards d’euros par an. Pareille somme laisse rêveur, à l’heure où ce montant correspond presque exactement à celui que le gouvernement cherche pour ramener le déficit public à 3 %. Cette incroyable manne appartient à une minorité de super riches, personnes physiques ou multinationales, pour lesquels « l’optimisation fiscale » 
est pratiquée comme un sport de haut niveau.

L’impunité s’est tellement installée parmi l’oligarchie financière depuis 3 décennies que les mêmes, qui spolient l’État et contribuent à assécher les finances publiques, n’hésitent pas à entonner le refrain du « choc de compétitivité ». Autrement dit, il faudrait ponctionner sur les familles, via la CSG ou la TVA, les économies que réaliseraient les entreprises avec une baisse des cotisations sociales. Au moment où la croissance s’arrête, le pari est tellement risqué que le gouvernement lui-même, un temps tenté, appuie sur le frein de cette perspective toute libérale. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, a affirmé hier que les mesures de relance de la compétitivité n’entraîneront pas de pression supplémentaire sur le pouvoir d’achat.

Il faut maintenant convaincre tout à fait que le manque de compétitivité de l’économie française ne vient pas d’un coût du travail trop élevé mais d’un manque d’investissements dans l’innovation, la recherche, le travail, la formation. Les exigences folles de retour sur mise des actionnaires ne sont pas compatibles avec cette ambition. Plus encore si une bonne part de l’argent rapidement 
gagné échappe au fisc. Tous ne sont pas des tricheurs. 
Mais la part d’ombre du capitalisme, opaque, hors la loi, est prospère et continue de semer ses pépites dans les paradis fiscaux. À une heure trente de Paris, Bruxelles 
est un refuge de premier choix pour les patrimoines aisés : pas d’impôt sur la fortune, pas de taxe sur les plus-values, droits de succession quasi inexistants. Pour le riche, Bruxelles est bon marché. Pour le riche seulement, car l’impôt sur le revenu, lui, y est des plus élevé d’Europe.


l'Humanité - 24 octobre

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